Désormais heureux possesseurs d'une Logan Renault et disposant d'un week-end prolongé (lundi férié), nous en avons profité pour sortir un peu sans avoir à recourir, pour la première fois depuis notre arrivée en Colombie, à l'avion, au bus, au taxi ou à la voiture d'amis. Notre choix s'est porté sur Manizales, bien que nous connaissions déjà vaguement cette ville. Ceci, plus par sécurité que par un profond désir. Il faut dire que prendre la route en Colombie pour rejoindre des endroits touristiques mais un peu reculés relève parfois du challenge. En effet, il ne faut pas compter sur les panneaux indicateurs qui indiquent en général le lieu que l'on cherche une fois que l'on y est. Quant aux cartes routières ou aux guides des routes vraiment détaillés fiables et actualisés, je pense qu'il va vraiment falloir chercher un peu encore... Mais je me trompe peut-être. Toujours est-il que nous n'avions pas de guide, ni de carte routière avant de partir. Donc, sécurité avant tout. D'autant que nous voulions faire l'aller-retour dans la journée, les routes de montagne de nuit étant réputées peu sûres.
Manizales est la capitale du département de Caldas, qui, jusqu'en 1966 englobait les autres départements de Risaralda (capitale Pereira) et Quindío (capitale Armenia), lesquels forment aujourd'hui la Région du Café. Manizales, naguère ville dynamique (centre du commerce du café) s'est largement fait damner le pion par Pereira. Elle ne compte d'ailleurs plus que 368 000 habitants contre 428 000 pour Pereira. Surnommée "Ciudad de las puertas abiertas" ("la Ville des portes ouvertes"), elle n'en traîne pas moins une réputation de ville aux mains de la bonne société traditionnelle un peu repliée et refermée sur elle-même, quand Pereira apparaît comme une ville chaleureuse, exubérante voire un peu "flambeuse". Elle est aussi considérée comme la ville universitaire et culturelle (Festivals de Jazz et de théâtre internationaux entre autres) de la Région du Café ; Pereira étant la ville commerciale et Arménia plutôt tournée vers l'écotourisme. Voilà pour la petite présentation qu'en font en général les guides.
Je repars de cette ville, pour ma part, toujours en emportant une image de grisaille et de froideur qui est liée certainement à l'altitude ( 2 200 mètres environ contre 1 400 pour Pereira). La ville est d'ailleurs étrange : elle est construite sur l'épine dorsale de la montagne et depuis l'avenue principale qui la parcourt on peut apercevoir la ville dont les quartiers s'étendent en contre-bas sur d'autres arrêtes montagneuses, ce qui crée toujours en moi une sensation de vertige et de précarité voire de danger imminent. La ville fut d'ailleurs détruite à plusieurs reprises (1925 et 1926) par des incendies, et l'explosion d'un volcan tout proche (le Nevado del ruiz) en 1985 causa la mort de 20 000 personnes habitant un village avoisinant.
Ce dimanche de début de novembre n'a pas fait exception à la règle. Il ressemblait presque à un dimanche de novembre en France. Nous sommes arrivés sous la grisaille et avons pu observer les sommets environants cachés sous d'épais nuages et bancs de brouillard. Ne sachant pas trop où aller (sans plan détaillé de la ville), nous avons enfilé l'avenue principale du centre qui la traverse d'est en ouest et nous sommes garés dans un "parqueadero" ("parking") payant comme il en existe partout (le stationnement libre en centre ville n'étant pas autorisé); parkings souvent grands comme des boîtes à chaussure où il faut donc garer sa voiture au chausse-pied et au prix de mille manoeuvres périlleuses sous l'oeil généralement torve et cupide du propriétaire qui cherche toujours à entasser un maximum de véhicules pour rentabiliser son affaire. En descendant (ou en nous extrayant, plus exactement à la manière d'hommes chewing-gum,) de la voiture, le froid nous a mordus et il a fallu mettre des lainages aux enfants. Géraldine avait, quant à elle, la tête lourde et semblait même sur le point de s'évanouir à cause, certainement, de la différence d'altitude et du médicament supposé en réduire les effets. Il n'était que 10 heures mais, les enfants et nous mêmes, levés depuis 5h30 du matin, ayant déjà faim, nous avons fait une halte dans un de ces petits lieux où l'on sert à manger et à boire, baptisés outrageusement "restaurantes". Retaurants qui sont en fait, ce que nous nommerions chez nous des "bouis-bouis" ou des gargottes ouverts sur la rue, balayés par des courants d'air permanents, et aménagés avec des tables en formica et des chaises en plastique orange très "seventies" où l'on trouve toujours la même carte : Pan de Bono, Pan de Queso, Pan de Yuca, Buñelos, Empanadas, qui sont une institution culinaire - surtout à l'heure du casse-croûte de 9 heures - pour les Colombiens qui se sentiraient certainement mutilés si on les privait durablement de ces denrées. Pour boire, vous aurez le choix entre le "tinto" (mauvais café noir) oscuro ou clarito et le pintadito (le café au lait) plus un assortiment de jus de fruits naturels (ceux-ci plutôt bons en général). Mais attention à ne pas demander quelque chose de trop compliqué, genre thé (peu dans les moeurs) ou aromatica (tisane) ou agua panela (eau au sucre de canne), car vous risquez de l'attendre longtemps. Géraldine. légèrement enrhumée donc désireuse d'une boisson adoucisante, en a fait l'expérience. Ne l'ayant pas demandée au début, nous avons dû attendre près d'une demi-heure que son eau lui soit servie. Nous aurions dû nous méfier. Le patron, qui avait un faux air de Gerhard Schröder, devant la demande, avait semblé hésiter un court instant avant de nous dire le traditionnel : "tranquilo, si está bién"... C'est là en général, qu'il faut se méfier. Pourtant, nous avons été de bonne composition : pour faire durer un peu, nous avons recommandé des gâteaux, nous sommes tous passés aux toilettes et nous avons... attendu. Quand au bout d'un moment encore, nous en avons eu assez et que nous avons dit au patron que nous ne voulions plus de cette eau chaude au sucre de canne, c'est là que la serveuse nous l'a miraculeusement apportée. Géraldine étant aux toilettes avec les enfants (encore une fois), je me suis étonné de ce délai et lui ai demandé si l'eau venait de l'autre bout de la ville, ou d'une source naturelle coulant des volcans, sans savoir que cela aurait été sûrement plus rapide car, "non" me dit la jeune femme : "il fallait faire bouillir l'eau". En effet, comme chacun le sait, il faut 20 minutes pour que les bactéries meurent à partir du moment où l'eau bout. Et ils ne nous avaient pas dit qu'ils n'avaient pas d'eau déjà bouillie. Ce qui expliquait, du coup, l'air inquiet du patron qui finalement a préféré ne pas nous parler des délais d'attente pour récupérer une conso de plus.
Bref, Géraldine a bu son agua panela; je suis allé payer sous la pression d'un des nombreux mendiants et miséreux qui font le pied de grue devant ce genre d'endroits et hèlent le client au moment où il passe à la caisse pour lui demander de rajouter un pan de bono ou un empanada sur la note. Ceci avec l'assentiment du patron qui voit finalement d'un bon oeil, pour ses affaires, que le client, qui sort de l'église encore sous le coup du sermon et gorgé de culpabilité chrétienne, nourrisse, à l'occasion, un de ces pauvres hères.
Après cette "étape gourmande", la visite touristique et culturelle de la ville fut finalement assez anecdotique, car que cherche-t-on quand on accepte de vivre à l'étranger si ce n'est ces petits événements quotidiens qui sont l'expression "d'habitus culturels" et de structurations mentales propre au lieu ? Habitus qui, par delà l'apparente normalité et l'apparente familiarité avec notre propre culture, révèlent d'irréductibles singularités.
C'est donc le ventre plein, mais sans ostentation, que nous avons rejoint au milieu de tous ces ventres vides la place Bolivar afin d'admirer l'expressive et grandiloquente statue de l'incontournable "Libertador" Simon Bolivar, représenté ici sous forme d'un condor humain qui déploie ses ailes au-dessus de Manizales pour mieux la protéger. Devant cette statue, aussi en bronze et retenu au piédestal par trois fixations apparentes, se trouve un masque à l'effigie de Francisco de Paula Santander, le bras droit de Bolivar. La sculpture est due à l'incontournable (et controversé) Rodrigo Arenas Betancourt également auteur du célèbre "Bolivar nu" de la place... Bolivar de Pereira ! (Vous l'aurez remarqué, le peuple colombien - et sud américains en général - est très reconnaissant à Bolivar de l'avoir libéré du joug espagnol).
Ce Condor Bolivar se trouve juste devant la cathédrale de Manizales, autre symbole de la ville. qui fut déclaré monument historique national en 1981. De style "gothique", la tour principale mesure plus de 100 mètres de haut. Il est à préciser que détruite plusieurs fois suite à divers tremblements de terre, cette église fut finalement reconstruite en béton armé et qu'elle se signale par son marbre italien, ses vitraux et le baldaquin de 12 mètres au-dessus du maître-autel, construit par la firme New-Yorkaise Rambush, pour les connaisseurs.
J'ai pour ma part préféré l'église Inmaculada Concepciön, située devant le petit Parc de Caldas, nettement moins grandiloquente et qui se détachait, toute blanche sur un fond de ciel gris menaçant du plus bel effet.
Puis, nous avons repris le chemin du parking où nous avons demandé à l'administrateur du lieu de nous indiquer la route de parcs naturels où nous pourrions emmener les enfants. Notamment un, qui semblait se trouver dans le centre ville, selon le guide acheté à un péage routier en venant. Devant la complexité des informations et notre air navré sans doute, l'administrateur du parking a bondi dans la rue pour arrêter un taxi que nous avons suivi avec notre propre voiture jusqu'à l'entrée du parc. Car c'est ainsi que les taxis, souvent servent de guide aux automobilistes un peu désorientés (c'est-à-dire, la plupart) en arrivant dans une ville qu'ils ne connaissent pas.
On peut ainsi dire donc qu'en Colombie, même en roulant dans votre propre voiture, vous empruntez le taxi !!
C'est ainsi aussi que nous avons mis le cap, deuxième partie du voyage, vers "l'Ecoparc Los Yarumos"...